Entretien avec Chantale Tacky Boubane, Opératrice de gros engins dans les mines d’or de Kédougou

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Chantale à la mine, devant le tracteur qu’elle conduit.
Chantale à la mine, devant le tracteur qu’elle conduit.

“J’invite les jeunes filles à s’intéresser au secteur minier et y travailler “

Chantale Tacky Boubane est une habitante de Kédougou (Est du Sénégal) qui travaille dans les mines d’or comme opératrice de gros engins depuis plus de 10 ans. Elle est, depuis quelques années, employée de la branche sénégalaise de la Société des Forages et des Travaux Publics (SFTP MINING SN). Une société de sous-traitance d’entreprises d’exploitation aurifère. Son travail consiste à conduire des machines lourdes telles que les chargeurs, les désarticulés, tracteur, etc., pour creuser, déplacer, charger et niveler de la terre et de la roche dans les mines. Elle est aussi formatrice en conduite et maintenance de ces gros engins. Du haut de son mètre quatre-vingt-deux (1m 82) et de contact facile, Chantale n’était en rien prédestinée à travailler dans le secteur minier. Contrainte d’arrêter ses études à l’âge de 16 ans pour se marier, elle fait aujourd’hui partie de ces rares femmes Sénégalaises qui conduisent ces grosses machines. Son fort caractère et son courage lui ont permis de traverser des étapes difficiles de sa vie. C’est surtout grâce à une politique de parité menée par l’entreprise aurifère Téranga gold, son premier employeur, que Chantale est aujourd’hui une femme autonome. A l’occasion de la célébration du 8 mars, l’Observatoire national de la Parité (ONP) est allé à sa rencontre. Elle nous livre ses impressions sur ce métier.

Parlez-nous de vous ?

Je m’appelle Chantale Tacki Boubane. Je suis opératrice danger et conductrice de gros engins dans les mines depuis 2010. J’ai 34 ans et je suis mère de deux enfants. Je suis née à Kédougou où j’ai toujours vécu. C’est ici que j’ai fait l’école primaire et le collège. J’ai interrompu mes études à l’âge de 16 ans à cause d’un mariage précoce. J’ai divorcé 8 ans après. Par la suite, j’ai eu la chance de travailler dans les mines pour l’entreprise Téranga gold à Sabadola avant de rejoindre en 2015 la SFTP MINING SN.

Qu’est-ce que vous pensez de ce mariage précoce ?

Ce dont je suis sûre, c’est que je ne ferai pas le même choix pour ma fille. Je trouve que c’était un peu tôt. À 16 ans, on est encore mineur. Je demande aux parents de laisser les filles à l’école. En effet, une fois dans le monde professionnel, le faible niveau d’étude devient un handicap. Je me rends compte que je pouvais occuper des postes de responsabilité plus importants si j’avais fait des études poussées.

Avez-vous tenté de continuer vos études après ?

J’ai tenté de reprendre les études après le divorce mais c’était très difficile car j’avais une fille de deux mois. J’avais commencé une formation professionnelle en informatique et Secrétariat au Lycée technique de Kédougou. Je n’ai pas pu continuer faute de moyens. Après cela, j’ai commencé à faire le ménage dans les locaux d’une ONG à Kédougou avec un salaire de 25 000 FCFA. J’ai accepté ce travail parce que j’avais des charges familiales. Et surtout parce que je voulais être autonome. Moins d’un an après, un de mes frères qui vit à l’étranger m’avait confié son commerce. Mon salaire avait alors doublé. J’ai arrêté de faire le ménage. Il me payait 50 000 FCFA par mois.

Comment avez-vous intégré les mines ?

Etant native de Kédougou, j’ai été recrutée dans l’entreprise Téranga Gold, à Sabadola, en 2010, sans avoir aucune idée de ce que je pouvais y faire. L’entreprise a d’abord testé mon niveau de langue. Ne pouvant pas parler anglais, ils m’ont dirigé vers les métiers de la mine comme opératrice d’engins. C’est à partir de là que j’ai été formée, pendant deux mois, à la conduite des engins lourds et surtout au respect des normes sanitaires et sécuritaires dans la mine.

Ce n’était pas une chose facile car je n’avais jamais conduit de véhicule auparavant. Ce sont des engins de plus de 120 tonnes. Leur taille me faisait peur. Mais ma force c’est que j’aime me surpasser. Après de longs moments de doute, j’ai fini par maitriser l’engin. Aujourd’hui, je suis formatrice pour la conduite d’autres engins tels que les chargeurs, les désarticulés, etc.

Quels sont les risques de ce métier ?

C’est un métier très risqué mais on parvient toujours à veiller au respecter des normes sanitaires et sécuritaires. C’est une politique rigoureuse que la société minière nous impose avec des rappels au quotidien. Il y va de notre sécurité et de l’avenir de l’exploitation.

Il y a t-il d’autres femmes comme vous qui conduisent des tracteurs dans les mines à Kédougou ?

Nous étions cinq filles à être formées en 2010. Je fais partie des pionnières car il n’y avait que des hommes dans le secteur. Aujourd’hui, je suis heureuse de voir d’autres sœurs qui sont toujours dans ce métier. Auparavant, il y avait des idées reçues selon lesquelles, ce type de travail n’était pas fait pour les femmes et que cela pouvait être nocif pour leur santé ou que c’était trop de risqué.

Quel regard les autres portaient sur vous ?

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, nous étions accueillis au début comme des stars à chaque fois que l’on revenait du terrain. Tout le monde nous regardait et s’émerveillait. C’était rare à l’époque de voir des jeunes filles conduire de gros engins.

Quelle est la perception que vos collègues hommes ont sur votre travail ?

Ils sont parfois moins compréhensifs. Pour mon cas, je suis la seule femme dans mon équipe. Les hommes me disent d’aller me marier car, selon eux, le travail à la mine n’est pas fait pour les femmes. Pour eux, le milieu naturel de la femme c’est la maison et ils n’hésitent pas à me le rappeler.

Chantale et ses Collègues à la mine après une formation sur les normes sécuritaires dans la mine
Chantale et ses collègues hommes à la mine après une formation sur les normes sécuritaires dans la mine

Quel message lanceriez-vous à ces hommes qui ne comprennent pas que vous avez aussi un rôle à jouer ?

Ils doivent comprendre que nous travaillons pour les aider car les temps sont durs. Nous voulons juste nous occuper et subvenir à nos besoins. Les hommes doivent aussi comprendre qu’il y a un avantage à laisser leurs femmes travailler car l’argent qu’elles gagneront retournera dans le foyer. Elles pourront ainsi assurer certaines dépenses. Cela contribue au bonheur de la famille.

Comment parvenez-vous à assurer en même temps l’éducation de vos enfants ?

Ce n’est pas du tout facile. La mine de Mako est à 63 kilomètres de chez moi (Kédougou). Je me réveille tous les jours à 4h du matin pour être dans le bus à 5h. On commence le travail à 6h 30 pour rentrer à 19h. C’est grâce au soutien de ma mère que je parviens à éduquer mes enfants.

C’est moins facile pour certaines femmes mariées qui travaillent à la mine parce qu’elles doivent gérer un mari et des enfants. Je dis chapeau bas à ces braves dames de la mine.

Quelle perception vos enfants ont-ils sur le travail que vous faites ?

C’est quand même difficile pour les enfants car il aimeraient m’avoir tout le temps à leurs cotés. Je les sensibilise souvent sur la question. Ils n’en font plus un problème.

Faut-il une bonne condition physique pour exercer ce métier ?

C’est une bonne question (rires), il faut être endurante pour tenir. Sur le terrain, nous sommes sur les machines du matin au soir. Arrivée à la maison, je saute à la corde et fais des étirements pour rester en forme.

Est-ce que ce travail à un impact sur votre féminité ?

La tenue de travail est parfois contraignante, les bottes surtout. Avec la rigueur du travail, on n’a pas le temps de se faire belle et on nous confond souvent à des hommes. C’est pourquoi, quand je me fais belle, certaines personnes ne me reconnaissent pas (rires). Je suis souvent en mode jongoma[i] quand je vais en ville (rires) et quand je suis en congés. J’essaie quand même de garder ma féminité. J’aimerais me faire belle tout le temps mais il faut que je travaille aussi pour gagner ma vie et prendre soin de ma famille.

Vous pensez continuer à conduire les engins lourds pour longtemps ?

Je commence à ressentir de la fatigue. J’ai déjà fait plus de 10 ans dans les mines. Je pense m’arrêter d’ici deux à trois ans et essayer de me concentrer sur d’autres projets. Je veux continuer mes études. S’il le faut, aller à Dakar et suivre une formation en santé et sécurité car c’est moi qui forme les nouvelles recrues. J’assure aussi les briefing sécurité au quotidien. Je suis à la cherche une école de formation adaptée.

En tout cas, j’aime beaucoup ce que je fais. L’avenir nous le dira.

Vous parvenez à bien gagner votre vie avec ce travail ?

Comme vous le savez, nous somme en Afrique, nous travaillons pour nous et notre famille. Aussi, je suis mère et père de famille à la fois. J’ai la charge de mes enfants et ceux d’autres personnes qui me sont proches. Tout ceci ne serait peut-être pas possible si je ne travaillais pas à la mine.

Comment vos parents perçoivent-ils votre travail à la mine ?

Ma mère est d’une part fière de moi mais d’autres part, elle est souvent inquiète car elle pense que je travaille beaucoup trop. Elle veut que je me repose un peu. C’est surtout grâce à son soutien que je parviens à donner du temps à mon travail.

Quel message lanceriez-vous aux jeunes filles qui voudraient faire votre métier ou d’autres métiers habituellement attribués aux hommes ?

Le conseil que je leur donne c’est de toujours essayer. Je les appelle toutes à ne pas baisser les bras, quelle que soit la situation. Elles doivent aussi chercher à être autonomes en se disant qu’elles sont capables de réussir. Il faut aussi qu’elles rêvent grand et qu’elles aient du courage. Je me suis toujours dit que si je ne réussissais pas à l’école, je réussirais quand même ailleurs. J’invite les jeunes filles à s’intéresser au secteur minier et y travailler car il n’y a rien de diable là-bas. Ce sera une nouvelle expérience pour elles.

Que pensez-vous de la parité femmes-hommes ?

La parité a donné la chance à beaucoup femmes de se distinguer. Auparavant, seuls les hommes avaient la chance d’occuper certains postes de responsabilité. La parité a permis de réduire progressivement toutes ces inégalités. Même les recruteurs exigent qu’il y ait à la fois des hommes et des femmes dans les postes à pourvoir. En ce qui me concerne, c’est cette politique qui m’a permis de travailler dans les mines. Nous souhaitons que la parité soit une réalité dans tous les secteurs car elle nous assure une certaine indépendance. Sans la parité, les chose seraient plus difficiles pour nous les femmes rurales.

Que pensez-vous du thème de la journée internationale « Leadership féminin : Pour un futur égalitaire dans le monde de la Covid-19 » ?

Comme vous le savez, la covid-19 a eu des conséquences négatives sur l’économie des femmes rurales, à Kédougou surtout . Cette année, la SFTP et ses partenaires ont prévu de célébrer le 8 mars en allant sur le terrain pour fournir produit d’hygiènes aux membres des groupements féminins des villages qui sont aux alentours de la mine. J’aurais un grand rôle à jouer dans l’organisation de cette activité qui se déroulera village de Tambanoumia.

Ayéré ké joumbane (Merci en Bassari[ii]).

Propos recueillis par Oumar Lo, Chargé de Communication de l’ONP

[i] Nom attribué aux femmes sénégalaises belles et élégantes.

[ii] Les Bassaris sont un groupe ethnique établi principalement sur les plateaux du Sénégal oriental, à la frontière avec la Guinée, dans la zone de Salémata.

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Observatoire national de la Parité
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L’ONP vous fera découvrir ici, avec des portraits et entretiens, des profils de femmes sénégalaises d’exception. Site web : http://onp.presidence.sn/

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