“(…) Beaucoup de femmes ont renoncé à déposer des recours pour violation de la loi sur la parité à cause des pesanteurs sociales (…)”

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Ndèye Diemb Diagne de l’APROFES, Coordonnatrice de l’Antenne de veille et d’alerte de Kaolack qui couvre les régions de Kaolack, Fatick et Kaffrine

Ndèye Diemb Diagne

L’observatoire national de la parité (ONP), en partenariat avec les organisations de femmes et d’hommes de la société civile, a mis en place un Réseau national de veille et d’alerte pour le respect de la parité aux élections locales de 2022. Ce Réseau, coordonné par le Conseil Sénégalais de femmes (COSEF), s’appuie sur sept (07) Antennes (Dakar, Kaolack, Matam, Saint-Louis, Tambacounda, Thiès et Ziguinchor) installées en décembre 2021 et couvrant l’ensemble du territoire national. Celle de Kaolack est dirigée par l’Association pour la Promotion de la Femme Sénégalaise (APROFES), une association dont le mon rappel une phase importante de l’histoire de la première mise en œuvre de la loi sur la parité au niveau des collectivités territoriales. En effet, l’APROFES avait intenté un recours lors des élections locales de 2014 pour non-respect de la parité dans le Bureau municipal de la ville de Kaolack. Comment cela s’est-il passé ? Quels sont les enseignements à tirer de cette expérience kaolakoise ? Ndèye Diagne, Coordinatrice de l’APROFES et Coordonnatrice de l’Antenne de veille et d’alerte revient ici sur ce vécu fort symbolique tout en faisant le bilan de l’antenne de veille qu’elle dirige.

Entretien.

Pouvez-vous revenir sur votre parcours associatif ?

Je suis dans les mouvements associatifs et culturels depuis toute petite. J’ai notamment milité pour le parti politique And-Jëf/Parti africain pour la démocratie et le socialisme (AJ/PADS). Un jour, avec d’autres femmes, nous avons décidé de nous organiser en une association de la société civile. La raison c’était qu’on avait constaté qu’il y avait beaucoup de femmes dans le quartier avec un cursus scolaire mais qui chômaient. Ces dernières étaient toutes actives dans notre association culturelle et sportive (ASC) « Mag Daan » de Kaolack mais elles n’occupaient que des fonctions subalternes.

Les femmes étaient simplement là pour collecter des fonds pour l’équipe et laver les maillots des joueurs à la fin des rencontres ! On s’est dit que c’était absurde. C’est ce qui nous a amené à créer l’Association pour la Promotion de la Femme Sénégalaise (APROFES) en 1987. C’était dans un contexte d’échec des programmes de développement résultant en grande partie de la non-prise en charge des préoccupations des femmes.

L’APROFES a joué un rôle important dans les recours devant les juridictions pour le respect de la parité dans les bureaux municipaux lors des élections locales de 2014. Pouvez-vous nous dire en quoi consistait concrètement le rôle de l’APROFES ?

Après vote de la loi sur la parité en 2010 suivi de son décret d’application[1] en 2011, à l’APROFES a formé les femmes des partis politiques et de la société civile. En 2014, les listes étaient paritaires sauf dans certaines cités religieuses comme Touba. Il fallait donc être vigilent. La loi sur la parité était certes un acquis mais le défis demeurait dans son application effective. On s’est accordé sur le fait que toute liste qui ne serait pas paritaire devrait être rejetée. Cela avait fait beaucoup de bruit. Finalement tous les partis politiques de la zone de couverture de l’APROFES (Fatick, Kaolack et Kaffrine) ont présenté des listes paritaires, à l’exception sauf des organisations évoluant dans les cités religieuses. Il restait donc les commissions et bureaux des conseils municipaux et départementaux. Lorsque la première réunion du Conseil Municipal de Kaolack ville a été convoquée par le Préfet, on y est allée en observatrices parce que c’était aussi notre droit. On a constaté après l’élection des membres du bureau municipal que celui-ci n’était pas paritaire. Nous avons donc décidé de faire un recours.

Quelle stratégie aviez-vous adoptée alors ?

L’APROFES a organisé une réunion avec les femmes de Kaolack pour les informer. J’ai photocopié le décret de la loi sur la parité que j’ai distribué au niveau de la Mairie, du Conseil départemental et d’autres institutions. C’est de la sorte qu’on a fait adhérer beaucoup de femmes à la cause. Mais certaines requérantes avaient reçu comme consigne au sein de leur parti politique de retirer leur réclamation. Il ne restait donc que trois (03) femmes sur dix-huit (18). Il s’agissait de Sokhna Mbacké, Ndèye Nobélane et Mbeinda Ndiaye Cissé. On avait des exemplaires de requêtes que Madame Fatou Kiné Camara de l’Association des juristes sénégalaises (AJS) nous avait donnés. Nous sommes allées à la Mairie pour disposer du Procès-verbal (PV) de l’élection des membres du Bureau Municipal afin de déposer un recours. Toutefois, les autorités municipales n’ont pas souhaité afficher le PV et ont également refusé de nous en délivrer une copie. Nous sommes allées voir le Préfet mais il a dit Niet ! Ensuite, notre avocat a demandé la liste au Secrétaire général de la Mairie. Puis on a déposé le recours pour non-respect de la parité à la Cour d’appel de Kaolack. Le jour où la décision devait être rendue, après un renvoi, l’APROFES a mobilisé toutes les femmes de Kaolack. Elles étaient toutes vêtues de blanc ce jour-là. La Cour d’appel a rejeté notre recours en se fondant sur le fait que la Loi sur la parité ainsi que son Décret d’application n’ont pas prévu les modalités pratiques par lesquelles la parité s’applique aux Bureaux et aux Commissions des institutions totalement ou partiellement électives.

Nous avons donc déposé un recours en Appel devant la Cour Suprême de Dakar. A la Cour Suprême, on a eu gain de cause. La décision portant annulation de l’élection des membres du Bureau municipal a été déposée par un huissier à la Mairie de Kaolack. Quand Madame le Maire d’alors a reçu ce document portant arrêt de la Cour suprême, elle a ignoré la décision de la Cour en refusant de faire reprendre l’élection des membres du bureau. Après le Maire qui était en plus une femme, il y avait huit adjoints, dont les six (06) premiers étaient tous des hommes. C’était, à la limite, désolant! On avait gagné un combat mais pas la guerre.

“Cette année-ci, contrairement à 2014, la parité a été respectée à la Mairie de la ville de Kaolack.”

Quel bilan faites-vous aujourd’hui du travail de l’antenne de veille de Kaolack, Fatick et Kaffrine ?

Ce sont toutes les femmes des 3 régions que couvre l’Antenne de Kaolack qui m’ont appuyé dans le travail de sensibilisation avec l’aide des médias locaux. Après la formation du 31 janvier sur le contentieux électoral organisé à Dakar, nous avons chacune à notre retour échangé avec les autorités déconcentrées. C’est la raison pour laquelle j’ai été invitée par le Préfet de Kaolack lors de la mise en place du bureau de la ville. Il nous a rassuré en nous précisant qu’il a reçu des instructions pour l’application effective de la parité. Après avoir installé le bureau de la Maire de la ville de Kaolack, le Préfet est resté pour superviser et rappeler la loi sur la parité et son décret son application. Il a été écouté et le bureau a été installé suivant la parité alternée homme-femme appliquée aux 17 Conseillers et Conseillères municipaux. Cette année-ci, contrairement à 2014, la parité a été respectée à la Mairie de la ville de Kaolack. La même situation s’est répété dans beaucoup de départements de Kaolack comme Kahone. Là-bas, ce sont les préfets qui ont convoqué les femmes pour les sensibiliser sur la parité et son application. Ils nous ont vraiment facilité la tâche.

Cependant, la parité n’a pas été respectée dans certaines localités comme la ville de Kaffrine. Malheureusement, nous nous sommes rendu compte que le Maire a refusé sciemment d’appliquer la loi.

“(…) une enseignante avait essuyé des injures et subi des « menaces mystiques » en plus de la pression de sa famille. Elle a fini par renoncer au recours qu’elle avait entamé pour violation de la loi sur la parité dans sa commune.”

Installation de l’Antenne de veille et d’alerte de Kaolack en décembre 2021

Quels sont, selon vous, les obstacles qui empêchent aux femmes de revendiquer l’application de la parité ?

Il s’agit d’abord de la réalité politique. Dans la ville de Kaffrine, par exemple, les femmes n’ont voulu s’opposer au Maire qui est homme politique influent. Elles ont donc préféré renoncer à la parité pour ne pas perdre leur position politique ou par peur d’être stigmatisées au sein de leur parti politique.

Ensuite, certaines autorités administratives n’ont pas joué le jeu. Il y en a des Préfets qui ont refusé de nous appuyer pour l’obtention des procès-verbaux après délibérations.

Enfin, pour des raisons d’ordre sociologique certaines femmes, même celles membre des organisations féminines, ont subi des menaces. A Thiomby (dans le département de Kaolack), par exemple, une enseignante avait essuyé des injures et subi des « menaces mystiques » en plus de la pression de sa famille. Elle a fini par renoncer au recours qu’elle avait entamé pour violation de la loi sur la parité dans sa commune.

En effet, beaucoup de femmes ont renoncé à déposer des recours pour violation de la loi sur la parité à cause des pesanteurs sociales suite à quelques cas constatés surtout dans la région de Kaffrine. Finalement, nous n’avons enregistré qu’un seul recours pour la reprise de l’élection du Conseil municipal de Kahi (Kaolack). Ici, il a fallu qu’un homme dont je salue le volontarisme, s’y mêle pour que la requérante de la Commune de Kahi puisse récupérer le procès-verbal. Finalement, ils ont déposé ensemble le recours auprès de la Cour d’appel de Kaolack. Et depuis, cet homme ne cesse de s’informer de l’état d’avancement de sa requête.

Quel bilan faites-vous de la parité dans les régions Fatick, Kaffrine et Kaolack?

Les logos des associations qui composent le Réseaux de veille d’alerte

Nous pensons que le bilan de l’Antenne de veille et d’alerte de Kaolack, Fatick et Kaffrine est satisfaisant pour une première. En effet, nous n’avons pas enregistré beaucoup de cas de violation de la parité. Ce qui reste, c’est de la volonté politique. Si tout le monde avait fait comme le Préfet de Kaolack, la parité serait respectée.

Quelles recommandations faites-vous aux femmes en perspectives des élections législatives prochaines ?

Il faut que le leadership féminin soit renforcé. Un Préfet m’a raconté que la parité n’a pas pu être appliquée dans le bureau municipal de sa localité car la femme qui devait occuper le poste d’Adjointe au Maire a paniqué quand le poste lui a été proposé en criant : « Je ne sais ni lire, ni écrire, ne me mettez pas à ce poste » (rires). En réalité, beaucoup de femmes rurales ne sont pas bien outillées pour assurer certaines fonctions. Les femmes doivent, par conséquent, être sensibilisées en langues nationales sur leur rôle dans la gouvernance locale.

Seulement, il faudra beaucoup de moyens aux antennes de veille pour qu’elles puissent fonctionner correctement et mener des campagnes de sensibilisation et donner des formations en leadership aux femmes qui vivent dans les coins les plus reculés du pays.

Pour les législative, il faudra s’y prendre tôt et surtout veiller à la parité dans les commissions.

Propos recueillis, en décembre 2021, par Mlle Zoubida BERADA, Assistante en Communication et complétés par M. Oumar LO en Mars 2022.

[1] Loi n° 2010–11 du 28 mai 2010 instituant la parité absolue Homme-Femme et son Décret d’application n° 2011–819 du 16 juin 2011

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Observatoire national de la Parité

L’ONP vous fera découvrir ici, avec des portraits et entretiens, des profils de femmes sénégalaises d’exception. Site web : http://onp.presidence.sn/